Journal d’un long voyage – Livre IV, Chapitre 6 – Le Heaume et les Tertres

Journal d’un long voyage – Livre IV, Chapitre 6 – Le Heaume et les Tertres

Le vent du sud soufflait froid, chassant les derniers nuages au-dessus du Long Lac, alors que les aventuriers se préparaient à repartir vers Walhbourg. Leur mission était claire : ramener le heaume à Cegwyn. Gwina les attendait déjà à l’embarcadère, prête à lever l’ancre. Mais Morwen, encore affaiblie des récents affrontements, choisit de rester à l’hospice pour guérir ses blessures.

Un voyage sombre et silencieux

Le voyage fut calme, bien que teinté d’un malaise. Les rires avaient disparu, et même le fleuve semblait porter le poids de quelque chose de menaçant. Le ciel restait obstinément noir, comme s’il savait ce qui attendait les héros à destination.

Deux jours plus tard, le bateau atteignit le quai. Mais personne n’était là pour les accueillir.

Le silence.

Pas un pêcheur, pas un garde, pas un enfant en train de courir. Même les animaux semblaient avoir fui.

Les tertres du silence

En s’approchant de Walhbourg, les héros découvrirent que les routes étaient désertes. À la place des villageois, des tertres. Alignés. Étrangement récents. Turgon, Erestor et Elyrielle échangèrent un regard inquiet. Grimur, attentif, s’accroupit et observa les traces au sol : une douzaine d’hommes, lourdement équipés, avaient visiblement marché en direction de l’un des tertres.

Et pour une raison indéchiffrable… le groupe suivit.

Piégés dans le royaume des morts

Dès leur entrée dans le tertre, une voix caverneuse résonna :
« Qui ose pénétrer dans le monde des morts ? Les morts ne tolèrent pas les vivants ! »

La porte se referma brutalement derrière eux. Le royaume des morts les avait piégés.

Le piège de la gemme

Dans la première grande salle, un autel. Deux cadavres gisaient au sol, transpercés de petites fléchettes. Un brasero encore tiède, des pierres renversées, et au centre, posée sur l’autel, une énorme gemme dorée dont l’éclat semblait aspirer la lumière.

Elyrielle fronça les sourcils.
— C’est un piège, souffla-t-elle. À tous les coups.

Mais Turgon, dans un élan de naïveté enthousiaste, les yeux brillants comme un enfant devant une pièce d’or, s’exclama :
— Regardez cette merveille ! Il ne faut pas la laisser là, elle pourrait être précieuse !

Il se tourna vers Grimur, posant une main pressante sur l’épaule du nain.
— Tu devrais la prendre, vite !

Elyrielle ouvrit la bouche pour protester, mais elle n’eut même pas le temps de formuler sa mise en garde que Grimur s’était déjà avancé, attiré par la confiance candide de Turgon.

Dès que ses doigts se refermèrent sur la pierre, un déclic sinistre résonna dans toute la salle.

Des dizaines de fléchettes jaillirent des murs, sifflant dans l’air. Le piège était déclenché. Plusieurs aventuriers furent blessés, et Grimur, pris de plein fouet, sentit un frisson glacial l’envahir. Quelque chose venait de s’ancrer en lui. Un point d’Ombre supplémentaire, planté dans son âme comme une écharde invisible.

Les visions de la vasque

Poussant plus loin, ils découvrirent une pièce centrée sur une vasque d’eau claire. Erestor s’en approcha et, aussitôt, son regard se figea.

Il fut plongé dans une vision : le fief de Beorn envahi par des orcs, un immense chef en armure noire, hache levée. Puis… la sensation de sa propre mort.

Elyrielle et Turgon durent le tirer de force, tandis qu’il tremblait encore, submergé par trois nouveaux points d’Ombre.

Le roi oublié et la banshee

La pièce suivante offrait une atmosphère plus ancienne, presque sacrée. Un trône, un squelette.

Et pourtant… Erestor et Elyrielle entendirent une respiration.

Elyrielle, téméraire, s’approcha. Le squelette s’anima soudain, réveillé de son sommeil éternel. Il attaqua avec rage. Le combat fut bref, mais violent, et Elyrielle subit une salve de coups. Affaiblie, elle s’écroula au sol, haletante. Le groupe décida d’effectuer un repos court.

Mais la mort ne dort jamais ici. Une banshee apparut près d’Erestor durant la pause. Son cri spectral faillit le tuer sur le coup. Il n’eut la vie sauve que par un sursaut de volonté. Le groupe affronta la créature et en vint à bout, mais l’inquiétude grandissait : qu’est-ce qui les attendait encore dans ces souterrains ?

Le banquet des goules

La salle suivante paraissait presque paisible, baignée d’une lumière diffuse émanant de torches fixées aux murs. Pourtant, à peine le groupe avait-il franchi l’encadrement de pierre que l’horreur leur sauta au visage.

À cinq petits mètres à peine, parfaitement visibles dans la clarté de la pièce, un groupe de goules festoyait autour d’une table grossière. Elles rongeaient des os, déchiquetaient de la chair, et s’abreuvaient de quelque chose de plus sombre encore. La scène aurait été visible pour un aveugle.

Et pourtant, Erestor, en éclaireur, n’avait rien vu.
— Comment est-ce possible ? chuchota Elyrielle, en reculant d’un pas. Elles étaient là, sous notre nez !

Turgon lui jeta un regard inquiet, tandis que Grimur, blême, se figeait.
— Et moi qui me fie toujours à mon instinct… Je n’ai rien senti, murmura-t-il. Pas un frisson, pas un pressentiment.

Le groupe n’eut pas le temps de réfléchir davantage. Les goules levèrent la tête à l’unisson, le visage maculé de sang séché. Leurs grognements annonçaient une seule chose : l’attaque.

Le combat fut brutal. Cette fois, c’est Grimur qui encassa le plus de coups. Leur sauvagerie était telle que le nain peinait à garder l’équilibre. Mais les aventuriers finirent par reprendre le dessus, forçant les créatures à s’écrouler l’une après l’autre dans leur propre abattoir.

Après la bataille, encore haletants, les héros durent marquer un nouveau repos court. Les blessures s’accumulaient, et les questions restaient sans réponse. Qu’est-ce qui, dans cet endroit, pouvait à ce point dérégler les sens et la vigilance même des plus aguerris ?

Le stalagmite vivant

Plus loin, une zone humide.

Un énorme stalagmite barrait le chemin, ses racines visqueuses éparpillées au sol. À sa base, des corps.

Turgon, prudent, s’approcha… et fut aussitôt agrippé par des tentacules.

Grimur se précipita, hache en main, pour le libérer. Mais la créature était tenace. Après une seconde attaque, Turgon parvint à se dégager seul. Le groupe tenta de fuir… pour mieux revenir.

Face à l’impossibilité d’éviter ce passage, ils revinrent avec l’intention de vaincre. Les flèches n’y faisaient rien. Seul Grimur, fou de rage, fonça et engagea un combat brutal. Elyrielle le suivit. Ensemble, ils terrassèrent la chose.

Le roi spectre et le heaume

Enfin, après tant d’horreurs, le groupe atteignit ce qui ressemblait à une salle sanctuaire. Silencieuse, vaste, presque solennelle.

Au centre, une créature spectrale flottait devant un homme étendu au sol, son corps frêle à peine animé par une respiration difficile.

Elyrielle leva instinctivement son arc. Mais Turgon leva la main pour l’arrêter.
— Non ! Ce sont des amis, dit-il avec assurance. Regardez, cet homme est blessé. Allons-y.

Un silence de plomb s’abattit sur le groupe.
— Turgon, murmura Erestor. Tu es sûr de ce que tu vois ?

Mais déjà, Turgon s’avançait, confiant, droit sur la scène.

Il ne fallut que quelques secondes pour que la vérité leur saute au visage : la créature n’était pas là pour aider… elle drenait la vie de l’homme au sol. Une silhouette maléfique, un roi spectre, enveloppé de brume noire, tournant lentement la tête vers eux.

Cegwyn. C’était lui, affaibli, allongé, la peau collée aux os. C’était pour le sauver qu’ils étaient venus jusqu’ici.

Erestor se précipita à son chevet, appuyant sa main sur son front.
— Cegwyn ! Que faut-il faire ? Comment mettre fin à cette magie ?

Dans un souffle faible, presque un râle, Cegwyn murmura :
— Le heaume… sur sa tête… mettez-le…

Grimur, sans hésiter, sortit le Heaume des Gardiens de son sac. Le regard résolu, il s’élança et, dans un geste précis, posa le heaume sur le crâne du spectre.

Le roi spectre recula, ébranlé. Sa forme se décomposa lentement, aspirée dans le heaume, tandis que la lumière de la salle faiblissait. Puis, un silence total.

La magie du lieu s’était évaporée.

Cegwyn, toujours vivant, avait été sauvé… mais à quel prix ? Son visage, son corps, tout en lui semblait avoir vieilli de plusieurs décennies.

Turgon, mal à l’aise, détourna les yeux. Son erreur avait bien failli coûter la vie à un ami.

Retour à la lumière

Ils ressortirent du tertre sans même savoir comment.

Le ciel était désormais dégagé, clair.

Ils portaient avec eux un Cegwyn affaibli, vieilli de plusieurs décennies par le drain magique du spectre. Mais vivant.

La mission était accomplie.

Le heaume retrouvé, la malédiction levée… et l’Ombre, pour un temps, repoussée.