Le Goulet et les Voiles Noires (An 2951)
Le début du mois d’avril apportait une humidité tenace à Bourg-Radieux, dont les ruelles, tapissées de mousses et de flaques miroitantes, semblaient retenir l’hiver. Mais pour les quatre compagnons — Turgon, Erestor, Morwen et Elyrielle — ce n’était pas la météo qui comptait en ce jour-là. C’était le bonheur de se retrouver enfin.
Ils savouraient leurs retrouvailles au sanctuaire baptisé La Lueur de Bourg-Radieux, érigé par Morwen avec l’aide de Gallen. C’était un lieu de sérénité, où les chants d’oiseaux perçaient doucement le murmure des vents de printemps. Là, Gallen, toujours direct, posa une question simple — une question dont la réponse, longtemps attendue, scellerait la volonté du groupe à reprendre la route.
Vers le Goulet de la Forêt
Le lendemain matin, après des adieux sobres à Gallen, les aventuriers prirent la route du Goulet de la Forêt. La première journée de marche fut calme, bercée par le parfum des sous-bois humides et le chant discret de la forêt qui s’éveillait.
Le soir venu, Turgon repéra des ruines elfiques épargnées par le temps. Le lieu, bien qu’abandonné, dégageait une paix étrange, et ils décidèrent d’y établir leur camp pour la nuit. Le tour de garde de Turgon se passa sans événement. Morwen, qui le releva, entendit des bruissements parmi les pierres moussues, mais ne vit rien de menaçant.
Mais lors de son propre tour de garde, Erestor sentit quelque chose de différent. Un craquement trop sec. Un frisson le parcourut lorsqu’un cafard, grand comme un chat, surgit des ombres pour l’attaquer. Il le repoussa aussitôt… puis son sang se glaça. Autour du feu, Morwen, Elyrielle et Turgon étaient recouverts d’une nuée d’insectes. Le combat fut bref, mais éprouvant, et chacun en sortit choqué, le souffle court, l’épée ou l’arc encore en main.
À peine le silence retombé, une silhouette émergea de l’ombre des ruines. Haute, mince, enveloppée dans un manteau noir de brume, elle glissa dans leur champ de vision… sans un mot. Une peur glaciale s’empara des aventuriers. Le regard vide de la chose ne s’arrêta pas sur eux. Elle traversa les ruines comme un fantôme en mission. Ils ne bougèrent pas. Pas un mot. Pas un geste.
Arrivée à Walhbourg
Le lendemain, ils reprirent leur marche, plus silencieux qu’à l’accoutumée. L’après-midi, ils aperçurent les palissades de Walhbourg. Près du chemin, des monticules fleuris de Bouton Royal formaient un contraste frappant avec l’inquiétude du moment. À l’entrée, tout se passa sans accroc. Turgon demanda immédiatement après Cegwyn, le chef du village.
Un garde leur répondit, le visage fermé :
« J’ai bien peur que ces rumeurs soient vraies… Il y a eu des morts. »
Morwen, inquiète, proposa spontanément l’aide du groupe à Cegwyn. Le chef leur expliqua que Guina, une éclaireuse de confiance, devait revenir de Lacville avec un précieux heaume nain, mais qu’elle n’était pas encore rentrée. Il leur demanda de l’y retrouver et leur offrit une nuit à l’auberge, gracieusement payée.
Alors qu’ils prenaient congé de Cegwyn, Elyrielle jeta un coup d’œil à la foule : un individu encapuchonné les observait. Lorsqu’elle le désigna, il disparut rapidement entre les passants.
Prudents, ils se rendirent à l’auberge La Truie Joyeuse. Une ambiance calme, presque trop calme, régnait dans la salle. Ils prirent place, se réchauffèrent et interrogèrent l’aubergiste, Poireuax, sur les chambres. Peu après, Guina fit son apparition, discrète, le pas alerte malgré une légère blessure. Elle s’installa à leur table.
« Départ à la première lueur, dit-elle simplement. Le navire s’appelle Le Fougueux navire de Guina. »
Le Navire Poursuivi
Au matin du troisième jour, Guina et Turgon, tous deux blessés, prirent leur poste à bord du navire. La vigie, Erestor, donna l’alerte : un navire noir suivait leur sillage. Ce dernier semblait avancer rapidement vers l’embouchure, les voiles tendues par une magie ou un vent surnaturel. Ce fut le début d’une course effrénée sur l’eau.
Turgon tint fermement la barre, le regard tendu sur l’horizon. Morwen et Elyrielle s’affairaient aux voiles, ajustant les cordages avec une précision parfaite. Grâce à leur coordination, ils distancèrent peu à peu leur poursuivant, qui s’échoua sur une berge dans un craquement sinistre. Le danger était temporairement écarté, mais les voiles du Fougueux étaient en lambeaux.
Guina proposa alors de s’arrêter dans un village proche de la Route des Nains pour réparer le navire. À leur arrivée, le calme régnait à nouveau. Les aventuriers furent invités à s’installer à l’auberge locale, pendant que les charpentiers se mettaient à l’ouvrage.
Une Rencontre Inattendue
En entrant, ils virent un nain seul, buvant une bière en silence. Morwen, intriguée, fronça les sourcils. Ce visage lui disait quelque chose. Elle s’approcha, et l’homme leva les yeux.
« Bofri, fils de Bofur », dit-il avec un sourire en coin. « J’espérais presque vous croiser. »
Après quelques mots, il leur révéla sa propre mission : retrouver un artefact ancien, un bâton des Gardiens, un objet magique permettant de sécuriser la Route des Nains, et empêcher les créatures de l’Ombre de passer.
Le groupe n’eut pas besoin d’en entendre davantage. Ils acceptèrent de l’aider. Car même dans le calme trompeur des routes de l’Est, l’Ombre rôde toujours. Et 2951, cette nouvelle année, ne faisait que commencer.